Touba ou le corona, il faut choisir un combat
La gestion de la crise du Coronavirus au Sénégal semble polluée par un débat sous-jacent qui revient à chaque fois qu’il est question de la religion, et singulièrement des familles religieuses du pays. Se définissant comme des intellectuels « libres », certains ne ratent jamais une occasion de tirer sur ces familles religieuses (këri diiné yi).
Hier, il m’a été donné de lire un long texte. Sur des dizaines de lignes, l’auteur sous le pseudonyme « Parfait Sénégalais », crache son venin sur les familles religieuses, principalement sur Touba et la communauté mouride, considérées comme une féodalité à terrasser pour le triomphe des « lumières ». Quelques jours auparavant, quand l’État décrétait la fermeture des écoles, j’avais lu de soi-disant défenseurs des droits de l’enfant porter l’idée selon laquelle « on doit profiter du chaos pour refonder un nouveau Sénégal ». Dans le même sillage, d’aucuns déclarent qu’ils n’accepteront pas que « les enfants talibés soient confinés dans des daaras-mouroirs ». Les mots sont très forts, mais ils ne sont pas choisis au hasard.
Les interventions ont été nombreuses, mais le discours semble le même : « en finir avec le religieux », plus précisément avec une certaine manière de le vivre dans un pays majoritairement soufi.
Les mêmes attaques s’étaient fait jour lors de l’inauguration de la Grande Mosquée Massalikoul Jinane. D’aucuns avaient taxé le projet d’irréfléchi, de contraire au sens des priorités, comme si la communauté mouride avait en charge la destinée du pays. Est-il utile de rappeler que toute communauté, quelle qu’elle soit, a le droit de mettre en œuvre les projets qui lui paraissent importants. Ce sont plutôt les élus qui doivent des comptes à la Nation sur la priorisation des politiques publiques.
À y être attentif, c’est la même meute qui repend du service avec le Coronavirus. Il est curieux de voir que les mêmes qui avaient qualifié de gabegie la Mosquée Massalikoul Jinane reviennent, grossièrement couverts d’un manteau supposément républicain, pour exiger la fermeture des mosquées. Il faudrait être atteint de cécité pour ne pas voir que les objectifs qu’ils poursuivent demeurent inchangés.
Le fait est que ces soi-disant patriotes n’ont ni la légitimité ni la crédibilité pour porter le présent combat tant il est clair que ce n’est pas l’endiguement du Coronavirus qui les mobilise, mais la mise à l’index d’une communauté, qu’ils n’ont pas le courage de citer nommément. Il est en effet frappant de voir que tous ces pourfendeurs n’ont souvent pas le courage de s’afficher au grand jour. Ils se cachent derrière des pseudonymes, se retranchent derrière des discours faussement patriotiques ou développent de grossières tactiques de contournement. Or la démocratie se vit à visage découvert et nécessite que les citoyens aient le courage de leurs idées.
Ce sont également les mêmes qui, à coup d’interventions sur les réseaux sociaux, poussent avec insistance les autorités à prononcer le confinement de la population de Touba, voire carrément de la région de Diourbel. Or cette mesure est si lourde de conséquences qu’il ne doit pas reposer sur une simple opinion, surtout quand elle est malintentionnée, mais sur des éléments solides objectivement appréciés par les scientifiques et les professionnels de santé.
Le drame est qu’au lieu d’encourager l’État à une démarche constructive et pédagogique, les va-t’en guerre, adeptes du chaos, soutiennent la méthode forte, en brandissant des principes aussi pompeux que vides. Malheureusement, c’est en raison de ces attaques que ceux qui se sentent visés développent des réflexes de défense qui produisent, du coup, l’effet inverse de ce qui est recherché par la politique de prévention définie par l’État.
Dans ce capharnaüm, les pouvoirs publics doivent rependre l’exacte mesure de ce qui se joue. Aucune politique publique ayant des incidences sur la pratique de la religion ne saurait prospérer au Sénégal sans la sérieuse implication des familles religieuses. Les chevaliers de l’égalitaro-laïcisme peuvent le constater pour s’en désoler, mais la réalité est celle-là et l’actualité n’a de cesse de nous le rappeler.
L’erreur la plus grave serait de croire que seule la force pourrait discipliner les Sénégalais. S’il est nécessaire de renforcer la sensibilisation par d’autres canaux, y compris religieux, il faudra le faire, car, au fond, l’essentiel est de remporter la guerre contre le CORONAVIRUS. Le Sénégal n’a pas l’énergie de mener une guerre dans la guerre. Terrassons le CORONAVIRUS d’abord et revenons ensuite à nos débats qui ont certes leur intérêt, mais donc le cadre n’est pas celui-ci.
Très bon week-end et que la paix soit sur notre pays !