đŽEspagne – Babacar parti de Saint-Louis : ââTrois de mes amis sont morts en merââ
Babacar fait partie des plus de 8 000 migrants arrivĂ©s au mois de novembre sur les Ăles Canaries. Le SĂ©nĂ©galais connaissait les risques de la traversĂ©e. En connaissance de cause, il a dĂ©cidĂ© de prendre la mer. TĂ©moignage.
« AllÎ⊠allĂŽ Ousmane ? Il a raccroché ». Babacar tente de joindre son oncle. Le jeune SĂ©nĂ©galais de 18 ans attend devant un hĂŽtel de Maspalomas, un grand bĂątiment de 8 Ă©tages, qui hĂ©berge des centaines de migrants arrivĂ©s sur les Ăles Canaries faute de place dans des camps dâaccueil. Son oncle Ousmane se trouve apparemment dans cet hĂŽtel. Ils ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s Ă leur arrivĂ©e sur lâĂle de Grande Canarie. « Il a sa femme au SĂ©nĂ©gal, ses deux enfants et sa mĂšre. C’Ă©tait un pĂȘcheur. Mais la vie est dure au SĂ©nĂ©gal et il n’arrivait plus Ă faire manger sa famille. C’est pour cela qu’on a dĂ©cidĂ© de venir ici tenter notre chance en Espagne. »
Les deux hommes sont arrivĂ©s dĂ©but novembre. « On a mis cinq jours », explique Babacar tout en Ă©crivant un message, les yeux rivĂ©s sur son smartphone. Il sâest procurĂ© une puce espagnole pour pouvoir tĂ©lĂ©phoner ici. Babacar raconte qu’ils sont partis de Saint-Louis, la ville oĂč ils vivaient, sur la cĂŽtĂ© au nord du SĂ©nĂ©gal.
Lui et son oncle ont embarquĂ© avec 75 autres passagers. « Au dĂ©part, il y avait un enfant de 14 ans dans notre bateau. On ne voulait pas quâil monte Ă bord, on lui a dit que la mer est trop dangereuse, quâon pouvait tous mourir. Mais il nous a implorĂ©. Alors on lâa aidĂ©, on lui a donnĂ© nos habits contre le froid, on lui a donnĂ© notre nourriture quand il avait faim. » Tous les passagers seraient arrivĂ©s sains et sauf aux Canaries. « Les conditions mĂ©tĂ©o Ă©taient favorables. On a quittĂ© le SĂ©nĂ©gal et jusqu’ici on n’a pas eu de mort, pas de blessĂ©s. »
« Pendant deux jours, j’avais peur, jâĂ©tais fou »
Le risque est pourtant trĂšs Ă©levĂ©. Avec ses forts courants, la route de l’Atlantique est encore plus dangereuse que la traversĂ©e de la MĂ©diterranĂ©e. Depuis le dĂ©but de l’annĂ©e, au moins 500 personnes sont mortes en tentant d’atteindre l’archipel espagnol selon lâOrganisation internationale pour les migrations (Oim), sans compter les embarcations qui disparaissent sans qu’on ne le sache. Un danger dont Babacar avait conscience, dâautant quâil a lui-mĂȘme rĂ©cemment perdu des proches sur cette route.
« Trois de mes copains sont morts en mer quand je vivais encore Ă Saint-Louis. Câest le lendemain de leur dĂ©cĂšs que je suis parti Ă mon tour. Je lâai appris le matin et le soir je suis parti. » Lâun de ses amis dĂ©cĂ©dĂ© nâaurait plus rĂ©ussi Ă payer son loyer au SĂ©nĂ©gal, ce qui lâaurait pousser Ă partir.
« Je ne suis pas un pĂȘcheur, je ne suis jamais allĂ© en mer. A un moment prĂ©cis pendant la traversĂ©e, pendant deux jours, j’avais peur, jâĂ©tais fou. Mais aprĂšs je suis devenu calme. Je me suis dit, si je dois mourir lĂ , je vais mourir lĂ , câest Allah qui lâaura voulu. Si je dois arriver en Espagne, j’arriverai en Espagne. »
Babacar est musulman et se dit trĂšs croyant. « Si on nous rapatrie, on dira que c’est le destin. On est lĂ pour travailler, pas pour faire du vagabondage ou je ne sais quoi. On est lĂ pour travailler. » Le SĂ©nĂ©galais affirme avoir un baccalaurĂ©at scientifique et surtout qu’il joue au football Ă un niveau qui pourrait lui permettre de gagner de l’argent. « Les Espagnols ont de bons joueurs, mais moi aussi, je joue trĂšs bien ».
En Afrique, dit-il, « nos dirigeants sont des vautours. Ils sacrifient nos ressources, ils sacrifient la jeunesse. Ils envoient leurs propres enfants aux Etats-Unis ou ailleurs pour faire des études. Nous, on reste là -bas, on a des diplÎmes, mais on ne trouve pas de travail. »
SolidaritĂ© dâune habitante
Devant l’hĂŽtel, les choses s’agitent. Les balcons se remplissent de migrants venant voir ce qu’il se passe au pied du bĂątiment, car Babacar nâest pas le seul Ă la recherche dâun proche. Plusieurs personnes, notamment des Marocains, tentent de rentrer dans lâĂ©tablissement. Mais lâentrĂ©e leur est interdite. La Croix Rouge gĂšre lâaccueil et a des rĂšgles trĂšs strictes.
Babacar est alors rejoint par une Espagnole, un uniforme de la Poste sur les Ă©paules. Cette mĂšre de famille de 49 ans a dĂ©cidĂ© de lâaider. Tous les deux se seraient rencontrĂ©s prĂšs dâune plage. « Je travaillais quand je lâai rencontré », explique-t-elle. Puis jâai livrĂ© des lettres et des colis Ă lâhĂŽtel oĂč il Ă©tait logĂ© avant. Maintenant je vais lâemmener chez moi et lâhĂ©berger ».
Elle confie ne pas parler le français, que la communication est encore un problĂšme. « On n’a pas encore pu beaucoup communiquer Ă cause de la langue mais son rĂȘve est d’avoir un futur meilleur, de travailler, de faire des Ă©tudes et de soutenir sa famille. Vous savez, ce n’est pas la mĂȘme chose Ă l’hĂŽtel. Chez moi, il va peut-ĂȘtre se sentir plus en confiance, s’ouvrir et parler de ses sentiments. »
Babacar, lui, a pu tĂ©lĂ©phoner plusieurs fois Ă son pĂšre. Il ne lâavait pas prĂ©venu de son dĂ©part. « Il nâaurait pas acceptĂ© que je parte. Mais jâai des frĂšres et sĆurs et je suis lâaĂźnĂ© de la famille. Jâai une responsabilitĂ© envers eux ».
Source : infos migrants